mercredi 1 décembre 2010

Fiche de Lecture


Titre de l’ouvrage :
Philosophie républicaine et colonialisme : 
Origines, contradictions, échecs

Auteur : 
Stéphanie Couderc-Morandeau

Editeur :
Paris, L'Harmattan -- DL 2008

Description: 
1 vol. (292 p.) ; 24 cm

Collection
Collection Épistémologie et philosophie des sciences

Note de thèse: 
Thèse de doctorat : Philosophie : Paris 10 : 2007

Notes
Bibliographie p. 267-286 ; Notes de bibliographie en fin de chapitres ; Index inclus

Résumé
Cette étude porte sur l'explication des rapports que la philosophie républicaine entretient avec la question coloniale. Les questions du rôle de la République face à la colonisation et de l'importance des principes philosophiques sont évoquées pour définir les finalités de la philosophie républicaine.

Référence :
Couderc-Morandeau, Stéphanie. Philosophie républicaine et colonialisme -  origines, contradictions et échecs sous la troisième République. Paris: Harmattan, 2008. 292 p. Print.

Lieu de consultation :
Institut d’Etudes politiques de Bordeaux, Bibliothèque de Recherche, CEAN, Salle de lecture
Cote : 325.344 COU


Analyse de l’ouvrage Philosophie républicaine et colonialisme


Comme l’indique son titre- Philosophie républicaine et colonialisme – Origines, contradictions et échecs sous la IIIe République- l’ouvrage représente une tentative ambitieuse de remplacer la genèse, l’évolution et le terme de la politique coloniale de la  IIIe République dans leur contexte philosophique. Les quatre premières chapitres sont, ainsi, consacrées à l’apparition d’une « idéologie coloniale » héritée principalement des influences positiviste-comtistes et de la pensée saint-simonienne. Ces dernières influences conduiront, à leur tour, à l’aboutissement scientifique des thèses de progrès, de civilisation, d’humanité, d’universalité etc., véhiculées par l’époque des Lumières. Ensuite, l’auteur démontre la réappropriation de ce patrimoine philosophique occidental dans l’idéologie républicaine de l’expansionnisme colonial (chapitres 5 et 6) ; une idéologie, d’ailleurs, non pas en rupture avec la réalité de la praxis coloniale (chapitre 7). En conséquence, dit l’auteur,  sont apparues des contradictions de principes et de pratiques au long de l’aventure colonial du IIIe République qui engendrent et définissent le processus de décolonisation et d’association des anciennes dominions françaises (Chapitres 8-12).
Bien qu’étant sans doute nécessaires à l’appréhension de l’esprit colonial, les courants de pensée philosophique dont il est question dans Philosophie républicaine, ne conduisent pas à une implication logique de la ‘civilisation occidentale’ dans l’entreprise coloniale. Pourtant, une analyse inductive de l’idéologique coloniale nécessite la prise en compte de cet héritage philosophique dans la mesure où il a pu permettre une justification du colonialisme républicain (et français, et occidental, de manière plus générale). Ainsi, la deuxième partie du livre nous paraît plus instructive sur la problématique d’une représentation scientifique de la dialectique du colonialisme républicain. Nous nous intéressons dans cet exposé à cette deuxième partie comme étape primaire à une nécessaire déconstruction (quasi-aporique) du regard philosophique que porte la civilisation occidentale sur les peuples colonisés. A ce titre, Couderc-Morandeau examine l’idéologie coloniale- non seulement telle que pensée mais aussi telle qu’appliquée- ainsi que ses antinomies propres qui sont à l’origine de la dynamique de la politique coloniale au cours de la IIIe République.
En effet, l’auteur résume l’idéologie coloniale à travers deux « missions » qui ont été surtout portées en France sous la Troisième République en concomitance avec l’expansionnisme colonial française au XIXe siècle. « L’idéologie coloniale, explique l’auteur, se nourrit des principes républicains dont les nerfs centraux sont tenus par la mission de la mise en valeur des colonies d’une part ; la mission civilisatrice, d’autre part. Missions, qui se déroulent à partir de trois croyances : celle en l’assimilation des indigènes ; celle en l’infériorité ontologique du colonisé ; puis, celle se référant aux valeurs de la Révolution française »[1]. De manière ironique, elles semblent concomitantes dans la mesure où elles paraissent les compléments d’une même œuvre coloniale, mais ces missions sont en réalité, antagoniques dans leur portée philosophique. De ce point, il faut souligner deux antinomies du colonialisme républicain.
Capitalisme et humanisme
L’entreprise coloniale a d’abord et surtout présenté un intérêt économique à l’empire industriel-colonial français (la mission de la mise en valeur des colonies). En effet, les colonies représentaient à la fin du XIXe siècle, les lieux d’exploitation correspondant aux besoins capitalistes naissants de la République. D’ailleurs, le président du Conseil de l’époque, Jules Ferry l’a bien reconnu : « pour les pays vieux et riches, la colonisation est une des meilleurs affaires auxquelles ils puissent se livrer ». L’éthique capitaliste de l’expansionnisme est, donc, non seulement en contradiction avec les exigences de « l’humanisme vrai et à la mesure du monde »[2]  mais prend aussi la primauté sur la vocation républicaine- en ‘mission’ contre la barbarie et l’obscurantisme- d’amener les sociétés colonisées vers le progrès (bien entendu, occidental).
Impérialisme et assimilation
Par ailleurs, souligne Couderc-Morandeau, les allures universalistes qui ponctuent le discours colonialiste républicain conduisent à deux autres postures antithétiques- l’un, impérialiste et l’autre, assimilationniste. « Cette croyance en un progrès universel … a engendré la politique de la ressemblance, de l’assimilation, en a défini les contours, alimenté les confusions. Par conséquent, elle est à l’origine de la contradiction de l’acte de coloniser en tant que tel, basé à la fois sur l’assimilation (justement) et la domination ; elle est à l’origine de cette impossibilité de coloniser et d’assimiler simultanément » [3]. Dit autrement, il existe une véritable impossibilité à la réconciliation de la notion d’une entreprise républicaine civilisatrice et porteuse de liberté avec la praxis des rapports absolus de domination qui sont consubstantielles au projet colonial.

La nature antinomique de l’idéologie coloniale, nous dit l’auteur, a conduit à la constitution des véritables mouvements anticolonialistes au sein du Parlement à la fin du XIXe siècle. Mettant à l’écart toute idée selon laquelle les anticolonialistes seraient de gauche et les défenseurs du colonialisme de droite, l’auteur relate les oppositions ponctuelles à la politique coloniale de la ‘République conservatrice’ tantôt chez certains monarchistes que chez un nombre de socialistes et de radicaux. Implicitement, elle nous révèle que l’anticolonialisme à gauche était une remise en question plutôt de la prétendue mission de « mise en valeur » des colonies par l’exploitation capitaliste que de la mission civilisatrice. En l’occurrence, les socialistes postulent qu’il faut décoloniser pour mieux assimiler ; et ceci d’une conviction que la classe ouvrière à vocation à conduire l’humanité vers la démocratie sociale universelle. Cette notion apparait d’autant plus en concordance avec l’idée de civiliser les peuples colonisés qu’elle ne prend nullement en compte les réalités socioculturelles des dits « indigènes ».
Selon Couderc-Morandeau, le discours des anticolonialistes de gauche a été notamment séducteur parmi les élites de couleur dans les colonies. C’est ainsi que pendant la première moitié du XXe siècle, la demande de décolonisation venant des colonies s’est accompagnée d’une revendication du droit d’être assimilé à la métropole. Cette dernière volonté trouve des échos avec le Front populaire dans les années 1930 qui leur accorde de façon générale, des libertés civiques et les droits sociaux. Cet octroi est conçu dans l’optique de faciliter l’intégration à la République, apparaissant à ce titre comme l’affirmation de l’héritage libéral-démocratique d’un ensemble national-citoyen. L’auteur soutient que paradoxalement, cette même politicisation des sociétés colonisées, complémentée par l’instruction citoyenne, a eu pour effet d’engendrer les embryons des mouvements d’indépendance dans les colonies. En effet, ces changements « ont fait évoluer la situation politique et sociale des sociétés indigènes en les incitant à participer davantage à la colonisation, aux institutions, à construire une démocratie locale ; [et que la République] a accéléré, par là, le processus de l’autonomie… ». D’ailleurs, Couderc-Morandeau continue, « les bonnes paroles de quelques intellectuels colonisés n’ont pas gommé les problèmes relatifs à la colonisation, encore moins arrêté la naissance des mouvements nationalistes. Une fois l’acquisition de certains droits plus ou moins assurés, les nationalistes ont souhaité l’autonomie gouvernementale de leur pays »[4].
L’auteur cherche à restituer un aspect oublié des considérations de l’idéologie coloniale sous la IIIe République, à savoir- les effets sur le colonisé. Rappelons que l’empire colonial a été considéré pendant et après les deux guerres, de manière intéressée, comme le seul garant de la grandeur française mais  aussi que la mission civilisatrice a été conçu  comme l’œuvre d’un universalisme généraux,  conduisant à l’amélioration des conditions de vie, à la protection, à la liberté et à l’égalité des indigènes. Les deux faces de l’entreprise coloniale menant à des véritables ambigüités chez lui, le colonisé doit subir deux transformations paradoxales : « métamorphose », à la fois, en « homme-marchandise » et en « homme occidentalisé ». L’instruction dans les colonies reflète cette ambigüité dans la mesure où elle livre un apprentissage technique (exploitation) et moral (assimilation). La colonisation républicaine a aussi pour effet l’aliénation du colonisé au sein de sa société propre. L’auteur remarque, à ce titre, que « possédant deux nationalités, la sienne et celle du colonisateur, [le colonisé] n’en jouit d’aucune »[5]. De manière générale, l’idéologie coloniale-universaliste républicain reproche au colonisé sa différence et lui donne ni la possibilité de s’exprimer ni d’exister. Elle paraît comme façon par excellence de désintégrer et déraciner le colonisé de sa propre société, « à lui faire subir un racisme le rabaissant, lui rappelant sans cesse sa situation de colonisé »[6].

Critique
            Si la Philosophie républicaine présente une clarté et une cohérence notables dans son ensemble, l’on peut lui reprocher d’une certaine insuffisance dans l’articulation de sa thèse principale. En effet, la notion de « philosophie républicaine » n’est à aucun moment expliquée de manière rigoureuse. L’auteur se limite à la seule dimension politique de l’idéologie coloniale sous la IIIe République, et quasi-exclusivement aux textes et aux proclamations de Ferry et de Gambetta. Le lecteur demeure dans l’ignorance sur, par exemple, les discours des philosophes ou encore des autres théoriciens (géographes, économistes etc.) qui ont eu à penser la colonisation au long de la IIIe République. Y Coz note, dans une critique acerbe du livre, qu’ « On se retrouve donc en réalité face à une analyse de la politique menée sous la Troisième République, racontée à l’aide de sources très datées et d’une manière parfois approximative ». En l’occurrence, il rapproche à l’auteur de suggérer que la France est le seul pays à réfléchir sur la colonisation. Si l’auteur affirme qu’« En Angleterre, le droit de coloniser et celui de l’esclavage ne se justifient pas. », Coz cherche a vite rappeler que le mouvement abolitionniste était plus précoce et bien plus puissant au Royaume-Uni qu’en France, et que ceci avait surtout entraîné des débats et des justifications très poussées.
En réalité, le livre de l’auteur rejoint un certain nombre de réflexions portant sur le " travail de mémoire " de la France quant à son histoire coloniale. L’on peut évoquer, à ce titre, un certain nombre d’ouvrages de L’idée coloniale en France de 1871 à 1962 de Raoul Girardet en 1972 à La République coloniale et à la Colonisation française des auteurs Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et Françoise Vergès en 2006 et 2007 respectivement. Or, la Philosophie républicaine apparait curieusement dans la collection « Épistémologie et philosophie des sciences » chez la maison d’édition L’Harmattan. D’après ce dernier, la collection réunit les ouvrages qui  se donnent pour tâche de « préciser la signification des termes scientifiques utilisés par les chercheurs dans le cadre des connaissances qui sont les leurs, et tels que "force", "vitesse", "accélération", "particule", "onde", etc. [7] » ! Enfin, à la lumière d’un tel objectif, la Philosophie républicaine paraît, certes, une réflexion réussie sur la politique coloniale républicaine, ses inspirations philosophiques  et ses ambivalences logiques mais ne représente pas un travail exhaustif ni de la philosophie républicaine, ni de l’idéologie coloniale en tant que notion scientifique.




[1] COUDERC-MORANDEAU, Philosophie républicaine et colonialisme, op. cit., p.82
[2] Expression d’Aimé Césaire dans le Discours sur le colonialisme : « Jamais l’Occident, dans le temps même où il se gargarise le plus du mot, n’a été plus éloigné de pouvoir assumer les exigences d’un humanisme vrai, de pouvoir vivre l’humanisme vrai- l’humanisme à la mesure du monde »
[3] COUDERC-MORANDEAU, Philosophie républicaine et colonialisme, op. cit., p. 168
[4] Ibidem, pp. 200-2007
[5] COUDERC-MORANDEAU, Philosophie républicaine et colonialisme, op. cit., p. 159
[6] ibidem
[7] Site de l’Harmattan, http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=collection&no=201

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